Bridge Communication

La communication sensible : pourquoi et comment ?

Les diverses crises économiques et autres ont réveillé et fortement « irrité » l’environnement dans lequel les entreprises évoluent. Avec l’avènement du Web 2.0, la société de l’information voit encore s’accélérer la dissémination des informations. Dans ce contexte, la mise en place d’une communication efficace et sereine constitue aujourd’hui une gageure pour l’entreprise. Les médias sociaux amplifient le flux communicationnel, en le distordant, avec comme corollaire une perte de maîtrise du contenu et de la qualité du message de la part de l’entreprise émettrice. On le constate quotidiennement dans les médias: une situation critique peut très rapidement dégénérer une situation de crise. Nous sommes entrés dans l’ère des crises informationnelles récurrentes.

Comment anticiper les risques éventuels ? Comment éviter l’effet papillon ? C’est tout l’enjeu de la communication dite “sensible”, nouvelle branche de la communication stratégique apparue il y a une dizaine d’années.

PRENDRE EN COMPTE LES ALÉAS EXTÉRIEURS

La communication d’entreprise a longtemps été décrite comme une relation causale et linéaire selon le modèle de communication développé par Shannon et Weaver (Théorie mathématique de la communication, 1948). Dans ce modèle, un lien est clairement établi entre l’émetteur et le récepteur, selon un schéma linéaire et trinitaire émetteur >> message >> récepteur et boucle de rétroaction (feedback). Peu de place est accordée aux aléas extérieurs caractéristiques d’un environnement mouvant et réactif, tel celui dans lequel nos entreprises évoluent.

Aujourd’hui, le défi que doit relever le communicant est de réussir à allier les difficultés inhérentes au modèle développé par l’entreprise (l’émetteur) à celles posées par l’environnement dans lequel elle évolue. Plus clairement, et comme l’illustre le schéma ci-dessous, il s’agit de prendre en compte les éléments extérieurs à l’entreprise tels que: le terrain sur lequel l’émetteur communique et le contexte socio-économique dans lequel l’entreprise se développe dans le processus de communication. Il est donc impératif de connaître la cible à laquelle nous adresserons notre message. La portée de ce dernier n’en sera que renforcée puisqu’une même situation ne touche pas tous les publics avec la même acuité.

schéma entreprise et cible

LA COMMUNICATION SENSIBLE N’EST PAS LA COMMUNICATION DE CRISE

De notre point de vue, il y a une différence claire entre la communication « sensible » et celle « de crise ». En effet, la communication de crise est un processus mis en place essentiellement dans une visée « curative », alors que la communication “sensible” a davantage vocation à établir un cordon ” prophylactique” , de manière à ce qu’une crise n’éclate.

Son premier champ d’action est d’éviter toute passivité en amont et d’adopter une approche pro-active par rapport à tous les facteurs déstabilisants susceptibles de “dégrader” l’image de l’entreprise, de miner sa réputation et sa légitimité sociale. En un mot: AN-TI-CI-PER le risque informationnel. Car les polémiques sont devenues nombreuses et permanentes: qualité ou dangerosité des produits, sécurité alimentaire et sanitaire, santé financière d’une société, restructurations, comportement des dirigeants, bonus exorbitants, atteintes à l’environnement, etc.

Souffrant d’un excès de confiance, l’industrie est souvent en première ligne, avec des stratégies de communication d’influence et de lobbying largement défensives. Que l’on pense à l’amiante, aux médicaments (Vioxx hier, Mediator aujourd’hui) ou aux vaccins (contre le cancer du col de l’utérus ou l’hépatite B, grippe H1N1, etc.), à la vache folle, aux marées noires (Total, BP), aux produits alimentaires trop sucrés ou trop gras (obésité), au tabac, aux insecticides, aux OGM, etc.

Le secteur des services n’est pas épargné: la réputation du secteur bancaire et financier commence à sortir la tête de l’eau après la grave crise financière de 2008 et les excès du trading mais avec une image totalement laminée et une réputation en miettes, à reconstruire (Société Générale par exemple).

Face à ces sujets de polémique innombrables, aux réactions émotionnelles et brutales de l’opinion amplifiées par les médias, l’effet “rupture de digue” est dévastateur, parce que des intérêts purement économiques ont pris le pas sur une vision plus largement soucieuse des enjeux sociétaux. C’est sans doute pourquoi la notion de “principe de précaution” est désormais de plus en plus au cœur des prises de décisions politiques et économiques, même si elle commence à être remise en question en raison de son effet secondaire d’inflation normative coûteuse pour la société.

Plus clairement, comme on le voit, la communication de crise s’inscrit davantage dans une vision court-termiste dans le sens où elle joue le rôle du « pompier », alors que la communication sensible s’inscrit sur le long terme en anticipant les risques.

GÉRER LES RISQUES EN AMONT

La communication dite “sensible” a pour objet donc d’éviter une dynamique conflictuelle en anticipant et en gérant en amont le risque dans trois grands domaines: la communication sur le risque technologique (sanitaire, technique, alimentaire); la communication d’acceptabilité (extension ou installation de projets ayant un fort impact environnemental: plateforme pétrolière, site industriel, autoroutes, aéroports, incinérateurs, etc.); et enfin la communication sur les activités contestées (nucléaire, OGM, etc.).

Toute entreprise traversera, à un quelconque stade de son développement, une période critique et devra donc veiller en permanence à anticiper au maximum le risque d’opinion. Pour d’autres secteurs bien précis (nucléaire, pétrochimie par exemple), la communication sensible restera une composante permanente et inhérente à la stratégie de communication globale de l’entreprise.

MAINTENIR LES LIENS AVEC SON MARCHÉ

L’un des points cruciaux en matière de communication est d’éviter le silence radio, de taire une situation. En effet, il faut toujours maintenir un lien informationnel avec son marché afin d’éviter que de fausses rumeurs ne soient répandues, de rassurer les investisseurs, clients, fournisseurs sur la santé de l’entreprise. De cette façon, le porte-parole de l’entreprise peut maitriser les messages et donc in fine l’image de l’entreprise.

En effet, dans une stratégie de communication, des messages clés doivent être établis. Ces derniers permettent au communicant de rassurer la cible en maintenant un discours cohérent autour de l’entreprise. Ces messages agissent aussi tel un cordon de sécurité dans la mesure où ils préviennent tout risque de rumeur au sujet de l’entreprise, ce qui pourrait être le cas lors d’une absence de communication en période critique.

Leçon n° 1 : il ne faut jamais laisser le terrain inoccupé. 

PRÉSERVER LA COHÉRENCE INTERNE

La communication sensible s’adresse à différents publics en externe: investisseurs, médias, fournisseurs, clients mais elle s’adresse aussi aux hommes qui constituent l’entreprise. Ce serait une grave erreur que de négliger cet aspect de la communication. En effet, les forces vives de l’entreprise sont concernées au premier chef par l’évolution de la structure. Communiquer régulièrement et sereinement permet de couper court à toute rumeur catastrophiste, de rassurer et de maintenir la cohésion. L’entreprise doit maitriser son image autant en interne qu’en externe.

Lorsqu’il s’agit de communication sensible, le communicant dispose de différents moyens. En amont, il est nécessaire de fixer des messages clés qui serviront à assurer la cohérence du discours face aux différents interlocuteurs; ils cadrent la communication déployée autour de l’entreprise et constituent la base de travail de l’équipe communicante. Par ailleurs, un porte-parole doit être désigné, il s’agit en général du dirigeant de l’entreprise car il personnifie la structure en question. Dans tous les cas, il doit être légitime et être capable de rassurer ses interlocuteurs. Il est préférable de n’avoir qu’un seul et même porte-parole afin d’assurer une certaine cohérence en termes d’image véhiculée.

Leçon n° 2: dans la communication d’entreprise, le personnel est toujours prioritaire.

Il est donc important, en période sensible, d’adopter un discours pédagogique dans la mesure où l’explication d’un fait est le meilleur moyen de faire taire les rumeurs infondées. Le communicant dispose de différents outils pour mettre en place une communication interne efficace:

  • les réunions avec les représentants du personnel: il est crucial d’assurer la communication avec tous les éléments constitutifs d’une entreprise
  • la lettre au personnel /le journal interne
  • l’intranet
  • la visioconférence, lorsque le siège social de l’entreprise n’est pas localisé au même endroit que les unités de production

La communication orale est favorisée dans le cadre de la mise en place d’un plan stratégique de communication sensible car le porte-parole doit souvent interagir avec ses interlocuteurs en interne. Communiquer par écrit uniquement serait une erreur dans la mesure où cela isolerait les équipes opérationnelles de la direction de l’entreprise qui doit rester accessible et visible. Dans tous les cas, comme le précise Christine Hambursin (1), la communication sensible en interne agira sur deux registres:

  • rationnel: dans une visée pédagogique, il s’agit de faire connaître aux équipes les objectifs fixés par l’entreprise
  • émotionnel: la stratégie de communication mise en place doit être en mesure de susciter auprès des employés un sentiment d’appartenance

RASSURER EN INTERNE

Leçon n°3: un flux informationnel continu et régulier en externe doit aussi pouvoir permettre de rassurer les marchés, investisseurs, médias et autres interlocuteurs extérieurs à l’entreprise. 

De cette façon, les principaux leviers de la communication externe en période sensible sont:

  • les rencontres « one-to-one » avec les grandes familles de médias (économique, financier, immobilier, agro-alimentaire…) / journalistes influents
  • la parution d’un article “fondateur” (ou d’une interview) suite à la rencontre avec un journaliste appartenant à un média influent. La parution de cet article servira de référence et permettra de véhiculer les messages clés.
  • le communiqué de presse
  • le recours à des tierces parties. Dans le cadre d’une stratégie de communication sensible, donner la parole à des experts et des observateurs qualifiés permet de rassurer les interlocuteurs de l’entreprise (le marché, investisseurs, salariés, clients…) et de légitimer le positionnement de cette dernière.

RSE ET COMMUNICATION SENSIBLE : L’ARGUMENT CITOYEN À MANIER AVEC PRUDENCE

C’est souvent autour des aspects sociaux et environnementaux que se cristallisent les situations sensibles et c’est au moment où la crise éclate que les entreprises agitent l’étendard de la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise). Certes, le fait de mettre en exergue l’engagement citoyen de l’entreprise permet à cette dernière de limiter ses responsabilités dans une situation critique en jouant la carte de la transparence et de l’engagement social.

Aujourd’hui, en communication d’entreprise, l’un des axes favorisés en matière de RSE est le développement durable. Prenons le cas des magasins Leclerc qui affirment s’investir auprès de leurs « partenaires fournisseurs pour réduire l’impact écologique des différentes étapes de la fabrication et de la distribution des ses produits », avec par exemple des journées de ramassage des déchets (« Nettoyons la nature »).

De telles stratégies de communication permettent d’adapter les exigences sociales émanant de l’environnement dans lequel évolue l’entreprise à la nécessité de valoriser son image. Toutefois, l’utilisation de la RSE et de la thématique du développement durable peut laisser planer un doute quant à une instrumentalisation à visée purement marketing dans un souci de préservation de l’image de l’entreprise, en bref un soupçon d’insincérité.

RSE: UNE PRATIQUE AU QUOTIDIEN

En interne, si l’on en croit Mowday, Porter et Steers (2)« l’implication des employés dépend du degré d’identification de ceux-ci, ce qui leur permet d’adhérer aux buts et aux valeurs de l’entreprise ».

Pour être effective, la RSE ne doit donc pas être une action ponctuelle visant un objectif sur le court-terme, elle doit être engagée sur le long terme de façon à ce que l’identité de l’entreprise, de son management, se confonde avec son engagement social.

Ce postulat est aussi valable pour la communication externe. Concrètement, il est nécessaire de préparer une stratégie globale de communication sensible alliant différents axes de travail et de planifier des objectifs sur le long terme. Au mieux, une action isolée n’a aucun effet sur la ou les cibles et, dans le pire des cas, elle peut déclencher l’effet inverse et aggraver la situation, c’est ce que l’on appelle « l’effet boomerang ».

Encore une fois, le communicant devra veiller à ce que l’image véhiculée soit bien comprise par les différentes entités constituant le milieu dans lequel évolue l’entreprise. Un acteur mal informé sur une pratique peut y voir une forme de communication uniquement conçue pour « marketer » l’image de l’entreprise, pour redorer son blason. L’idée de ce décalage dans la perception des actions d’une entreprise a été éclairée par la théorie de l’économie des conventions de Boltanski et Thévenot. En effet, la RSE est intégrée au « monde civique » qui a pour dessein le bien collectif, alors que l’entreprise appartient au « monde marchand » qui, lui, ambitionne le bénéfice. Ces deux mondes ont des modes de fonctionnement différents. Pour autant, ils ne sont pas incompatibles. C’est en cela que réside le travail de la communication: réussir à concilier les objectifs économiques, sociaux et environnementaux. C’est le fameux “triple bottom line” (3) des Anglo-Saxons (People, Planet, Profit).

On le voit au quotidien au travers des derniers slogans d’établissements bancaires qui révèlent un repositionnement stratégique (suite à la crise de 2008):« La banque d’un monde qui change » (BNP Paribas), « Une relation durable, ça change la vie » (Crédit Agricole), « Banque et populaire à la fois » (Banque populaire), ou encore « l’esprit d’équipe » (Société Générale). Les banques ont choisi de jouer la carte de la proximité et de confiance, il s’agit pour elles de se donner un visage plus humain.

COMMUNICATION SENSIBLE À L’HEURE DU 2.0

Avec l’avènement du web 2.0 et du capitalisme « conversationnel », les réseaux sociaux offrent un nouveau canal de diffusion qu’il ne faut pas négliger. Ils permettent de rapprocher l’entreprise de sa cible. Ils autorisent aussi de faire évoluer une stratégie de communication “en direct” et en quasi “temps réel”, en faisant jouer la réactivité et l’interactivité, donc à nourrir le dialogue. De cette façon, la structure apparaît à l’écoute de son marché et véhicule une certaine notion de transparence.

Dans le cadre de la communication sensible, les réseaux sociaux peuvent constituer une soupape de sécurité. En effet, l’émergence de ces nouveaux médias a mis en lumière l’importance de la maîtrise de la réputation en ligne ou “e-réputation”. Les réseaux sociaux peuvent aussi bien servir à construire l’image d’une entreprise qu’à la ternir (scandales sociaux chez les fournisseurs de Nike, Gap ou Apple, par exemple). Il est donc crucial que les dirigeants d’entreprise actuels, même s’ils ne sont pas nés avec le numérique, prennent la dimension du danger et soient vigilants quant à la notion de réputation virtuelle.

La communication sensible n’a pas encore trouvé toute sa place dans les stratégies de communication globale des entreprises qui ont pris conscience de la volatilité d’une situation. Même si elles ne rencontreront pas toutes une période de crise nécessitant une intervention, l’actualité démontre chaque jour que le danger guette, que l’environnement externe est volatil et qu’une vision globale et à longue vue de la communication est plus que jamais nécessaire.

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(1) C. Hambursin, La RSE comme facteur de cohésion interne en situation de crise, Magazine de la Communication de crise & sensible vol. 18, octobre 2009, p. 7

(2)   Mowday, Steers Porter, Organizational Commitment Questionnaire,1979

(3)   L’expression a été créée par John Elkington, cofondateur du premier cabinet de conseil en stratégie de développement durable britannique SustainAbility en 1994 (voir aussi Cannibals with Forks: the Triple Bottom Line of 21st Century Business, New Society Publishers. 1998).

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